Saburo

Le corps de Saburo a disparu pendant la bataille. Le disciple du Hérisson fleuri qu’il avait rencontré dans une taverne près de Buzô le village maudit s’en est emparé discrètement quand tous les yeux étaient tournés vers la charge victorieuse de Hashiba Hideyoshi. Il n’a pas agi seul mais sous les ordres de Samamoto san, le vieux sensei devenu chef de clan. Nous les retrouvons tous les deux portant leur macabre paquetage sous un saule rendu étincelant par les lumières d’un soir d’été jetées sur un cour d’eau. Ils sont accompagnés que quelques disciples du Hérisson fleuri qui ne savent comment cacher leurs larmes alors que le corps emmailloté de Saburo est placé dans un tonneau funéraire et descendu dans un trou rapidement rebouché. Au dessus, le petit comité place une stèle anonyme sur laquelle un poème est gravé : « Avec pour dernier refrain le chant de la rivière ».

Au même moment, dans le shirô en ruine, les dirigeants des clans Hokuzaï et Ujifusa se font seppuku pour effacer le déshonneur du combat frénétique qui leur coûta leur armée et leur dignité. Tombés dans le piège des provocations de Samato, ils ont tout perdu et n’ont pu être présents à Yamakazi. Le désaveux de leur daimyo ne s’est pas fait attendre. Il ne leur reste que la mort.

Un jeune samouraï Ujifusa désormais ronin du nom de Matsao Mazu, soucieux de rendre un dernier hommage à ceux qui leur ont offert une telle opposition, est en train de se recueillir dans l’écurie. En levant les yeux, il trouve l’endroit où Saburo a écrit chaque nuit durant ces dernier mois. Touché par le recueil de poèmes qu’il y trouve, il choisit de se consacrer à l’écriture qui le passionne déjà et de fonder l’école du Hérisson fleuri en hommage au premier poème de l’auteur. Des années plus tard, son petit fils Matsuo Bashô (1644 – 1694) donnera par son talent ses lettres de noblesse à l’école.

Au XIX ème siècle, le saule et la tombe de Saburo ne sont plus. Seule la rivière poursuit sa chanson. Masaoka Shiki, lors d’une conférence inventera le terme de Haïku pour désigner le style poétique qu’il emploie. Au cours de cette allocution, il évoquera le nom de Saburo et de l’école du Hérisson fleuri comme origine probable de ce style. Il parlera ensuite brièvement de la possibilité selon laquelle le Hérisson fleuri serait à l’origine une école martiale et Saburo le plus grand sabreur ayant jamais vécu au Japon mais, s’il n’exclut pas cette possibilité et le fait que Saburo fut un bushi de basse extraction, il précise néanmoins que les faits historiques sont très maigres en ce qui concerne le personnage et qu’il ne souhaite pas tomber dans la fiction.

Le 7 décembre 1999, un investisseur américain qui a souhaité garder l’anonymat acquiert le manuscrit original trouvé dans l’écurie par Matsao Mazu le 2 juillet 1582 pour la somme de 5800 dollars.

Aucune mention n’a depuis été faite de manière officielle de Saburo ou de son œuvre.

Samato

Après le seppuku des Ujifusa et des Hokuzaï, les Fujitaka démolissent le shirô pour le remplacer par un gigantesque fort s’étendant jusque sur le village en contrebas. Tarô, le dirigeant qui avait négocié le ramassage du negu contre contre le privilège de ne pas payer d’impôts à Sato Aya s’est grandement enrichi à cette occasion en devenant gestionnaire du stockage et en recrutant de la main d’œuvre. Durant les années qui suivent, Hashiba Hideyoshi se lance dans une vaste opération d’unification du Tenga. Au cours de ces manœuvre, le fort sera un atout essentiel dans le contrôle des provinces alentour.

Durant toutes ces années, les Monozuke no kami s’assurent qu’un temple à la mémoire de ceux qui ont donné leur vie pour stopper l’avancée Hokuzaï soit entretenu au cœur de ce fort. Le nom de Samato y est inscrit. Après la bataille d’Osaka (1615) et la mort de Hashiba Hideyori (descendant de Hedeyoshi) les Monozuke no kami sont balayés par les Tokugawa. Les rares survivants continuent d’entretenir le temple en paiement de leur dette jusqu’en 1874 date à laquelle les Monozuke no kami disparaissent de l’Histoire. Jusqu’au XIX ème siècle, ce clan n’aura jamais cessé de déclarer que si leurs ancêtres avait tenu parole, les héros du shirô sans nom auraient pu mourir à Yamazaki avec leur clan au lieu de périr seuls au cœur de la nuit dans une ruine en bois.

Au siège de Osaka précédemment cité, Hashiba Hideyori, exaspérer de voir ses ennemis se déployer tout autour du château sans que personne ne puisse rien n’y faire, aurait crié lors d’un conseil de guerre « Les kamis sont donc si cruels que je n’aurait pas un Samato san parmi vous ?! »

Lors de l’évacuation de Dunkerque le 2 juin 1940, alors que les troupes allemandes encerclent la ville depuis le 21 mai à vingt contre un, un soldat japonais organise dans l’indifférence totale une prière avec deux de ses compatriotes afin de calmer l’âme du daïcho Samato qui guide selon lui les troupes françaises. Le 4 juin la ville tombe après avoir permis l’évacuation de l’ensemble des forces britanniques. Le général allemand responsable de l’attaque écrit dans son registre « Comment trouvent-t-ils la force de résister encore alors que nous sommes vingt fois plus nombreux ? Le soldat français prouve une nouvelle fois qu’il est le meilleur soldat du monde. » Le soldat japonnais hurle alors « c’est Samato c’est Samato ! » Déclarant que par ces lignes le général allemand allait froisser l’esprit du Daïcho et provoquer la déroute de leur armée, le jeune soldat est accusé de rébellion et mis aux fers pour douze jours.

Encore aujourd’hui au Japon, on console quelqu’un de la défaite en lui disant qu’il a perdu comme Samato, c’est à dire dans l’honneur et à peu de chose.

Omori

Omori sort de la bataille lourdement blessé mais couvert de gloire. A ses côtés se tient Ichino le sosie, lui aussi serrant les dents de douleur. Iemoro et Fujitaka n’ont plus rien à dire lorsque les deux guerriers sont convoqués sous la tante d’Hashiba Hideyoshi. Celui-ci sait qu’il leur doit la victoire et les récompenses pleuvent. De retour en Izumi, le clan Tsumada se retrouve à la tête d’un fief trois fois plus étendu que celui qu’il contrôlait à l’hiver dernier.

Jusqu’au bout le sosie aura jouer son rôle et l’Histoire ne saura jamais que Tsumada Deizô à vecu deux fois. Ichino meurt à l’automne 1597 au cours d’une balade à cheval. Il s’effondre tout simplement au milieu d’un chemin bordé par les pins. Omori, avec qui il avait scellé une amitié profonde et qui ne quittait jamais, ne peut que constater en se précipitant auprès du corps étendu à terre que son seigneur et maître vient de rendre l’âme. Certains affirment encore aujourd’hui qu’Omori san avait oublié qu’Ichino n’était qu’un sosie et l’a considéré jusqu’au bout comme le véritable seigneur Tsumada Deizô.

En 1600, Omori, très affecté par l’âge, par la mort de son seigneur trois ans plus tôt et par les blessures reçues à Yamazaki, décide contre l’avis général d’aller mater la rébellion du traitre Tokugawa en l’écrasant à la bataille de Sekigahara. Il soutient valeureusement le seigneur Ishida Mitsunari resté fidèle au fils de Hashiba Hideyoshi. Au cours de cette bataille il se retrouve cerné avec à ses côtés un enfant d’à peine dix-sept qui lui dit s ‘appeler Miyamoto Musashi, poète et combattant. Le jeune homme lui explique vouloir pousser jusqu’au bout la maîtrise complète de l’art du Hérisson fleuri. Omori se rappelle alors d’un vieil hibou décrépi donc il a oublié le nom mais qui traînait derrière lui tout un tas d’adeptes de cette école. Selon les survivants, Omori aurait alors éclaté de rire en disant jeune bushi blessé : « Sacré vieux poète ! Va donc le trouver ton hérisson si ses fleurs te donnent le sens de cette existence ! » Comme son compagnon Samato quelques dix-huit ans plus tôt, Omori meurt sur le champ de bataille quelques instants plus tard en chargeant seul l’armée Tokugawa. Cette manœuvre permet au jeune Miyamoto de fuir avec ses camardes.

Aya

De retour en Izumi, Aya s’assure que tous les seigneurs de la province viennent rendre hommage à Ishiro et signent des documents dans lesquels ils reconnaissent le seigneur Sato comme chef incontesté des clans Sato, Tsumada, Ujifusa et Sanataki. En 1588, Aya a seize ans. Elle épouse Sanataki Ado, un cousin de Juzô. Par cet acte, elle espère renouer les liens entre les clans de la région et respecter sa promesse de relever le clan Sanataki. La manœuvre fonctionne puisque l’année suivante, alors enceinte de son premier enfant, elle obtient le soutien de la famille Okibo. Dans les faits, elle contrôle dès lors tous les clans de la province et en profite pour renverser le daimyo Iemoro. En 1589, alors que Hashiba Hideyoshi étend son influence à tout le japon, Sato Ishiro a sept ans. Il est daimyo de la province d’Izumi.

Aya met au monde Asao puis Hagumi l’année suivante. En 1592, son époux Sanataki Ado meurt au cours de la guerre de Corée sous les drapeaux Hashiba. Hideyoshi en personne la donne alors en mariage à Oto Daïki, l’un des plus riches de ses vassaux. Aya doit quitter sa province et son  neveu, les séparations sont un vrai déchirement pour toute la région et les cadeaux et message de soutien afflux pendant des jours dans son palais d’Edo. Mais la distance ne l’empêche pas d’user de son influence pour soutenir son neuve. En 1595 elle met au monde des jumelles Asashi et Fujie. L’année suivante Asao, alors agé de sept, et emporté par une fièvre. Aya est inconsolable et manque de sombrer dans la folie.

En Izumi, la puissance du clan Sato ne cesse de croître. En 1597, Ishiro à 15 ans, il est officiellement un guerrier et daimyo de la province. Aya manœuvre habilement auprès d’Hideyoshi et obtient de lui qu’Ishiro épouse une de ses nièces. Le 18 septembre 1598, la cérémonie de mariage est spectaculaire mais le même jour, par un cruel tour du destin, Hashiba Hideyoshi meurt emporté par la maladie. Il avait 61 ans.

Des tractations commencent alors pour sa succession et ses meilleurs alliés s’entre déchirent pour savoir s’ils doivent soutenir son héritier Hideyori ou suivre Tokugawa ieyasu dans ses manigances.

En 1600, le clan loyaliste se réunit. Sato Ishiro à dix-huit ans, c’est un bushi magnifique qui mène alors toute une province à la bataille de Sekigahara. C’est sa première guerre. Ce sera aussi la dernière, le clan Sato est écrasé au deuxième jour de combat et Ishiro tué dans les affrontements. Dans les jours qui suivent, Sato Hagumi, second fils d’Aya est nommé daimyo d’Izumi sous contrôle Tokogawa. Asashi et Fujie, ses filles, sont conviées à la cour de Tokogawa est deviennent de fait des otages. Son mari Oto Daïki est contraint de rejoindre le camp Tokogawa. Aya se mure dès lors dans un silence sinistre.

Pourtant, avec le soutien de Tsumahashi Saya, elle continue d’alimenter secrètement le camp loyaliste de renseignements et de soutiens financiers. En 1612 elle est découverte par son mari qui la chasse le plus discrètement possible pour lui éviter la mort et la honte. Voilà douze ans qu’elle n’a plus revu ses enfants.

Elle part alors se réfugier chez les Tsumahashi et préparent avec eux une contre-attaque pour rendre le shogunat à Hashiba Hideyori. En 1615 ils sont prêts et partent porter secours à l’héritier d’Hideyoshi à Osaka. Quand ils arrivent il est trop tard, le château est tombé et Hideyori s’est suicidé. Les Tsumahashi finissent par se soumettre. Aya perd ses derniers soutiens et décide de partir dans un monastère. Elle a alors quarante-trois ans. Terrassée de chagrin, elle mourra trois ans plus tard en demandant simplement à une novice juste avant de s’éteindre « Pourquoi Saburo n’est-il pas sorti de la cage? »

Tsumahashi Saya

Après la bataille de Yamazaki, Saya devient de facto l’héritière du clan Tsumahashi. Le seigneur Fujitake, trop heureux de voir une situation se régler d’elle même, ratifie immédiatement la situation. Les ronins sont rétablis au sein du clan et participent à la traque de Mitsuhide. Rapidement ce dernier est livré, mort, par une bande de paysans qui espéraient toucher une récompense. A défaut Hideyoshi les fait crucifier pour avoir oser s’en prendre à un samouraï de si haut rang. S’en est fini du Shogun de treize jours.

Dans les années qui suivent, Saya remonte le clan Tsumahashi et participe à la réfection du shirô et de la Porte. En 1583 elle est mariée à Fujitaka Genjiro, un jeune neveu du daimyo. Cet honneur cache évidemment une prise contrôle masquée des Fujitaka mais la puissance du clan en est démultipliée. Le clan se couvre de gloire en participant au guerre d’unification du shogun. Genjiro se distingue en Corée en 1592 mais Saya apprend que le mari de Sato Aya y a perdu la vie. Voilà Dix ans qu’elle ne pense plus au temps du shirô. Regrettant son mutisme, elle reprend contact avec la province d’Izumi au moment des funérailles. Cette année là elle met au monde son premier et unique enfant Fujitaka Genji. Héritier des deux clans, Genji sera le leader incontestable de toute la province.

A peine remis de son accouchement, Saya se rend à Edo pour le mariage de Aya et Oto daiki. Elle la couvre de cadeaux et l’assure de son soutien. Dans l’ombre, Saya veillera de loin sur l’ascension de Ishiro.

En 1600, Genji a huit ans. Genjiro meurt comme tant d’autres braves à la bataille de Sekigahara. Saya est seule dans le camp des perdants avec un seigneur puissant qui n’a que huit ans. Sous le conseil des clans Tsumahashi et Fujitaka, elle fait profil bas est accepte en apparence la domination Tokogawa. En secret, elle soutient avec Aya les clans loyalistes. Les années passent et les clans se relèvent de la défaite. Tokugawa Ieyasu fait preuve de générosité, en apparence lui aussi. En 1612, ieyasu déclare traitres les clans Tsumahashi et Fujitake et lance une vaste opération militaire sur la région. Au cours des combats, Genji, alors âgé de vingt ans est tué. A partir de ce jour, la province est soumise mais Saya n’aura de cesse de chercher la vengeance. Au côté d’Aya, venue se réfugier chez elle, elle prépare une campagne militaire de soutien à l’héritier Hashiba. En 1615, le shogun lance une manœuvre pour soumettre Hashiba Hideyori à Osaka. Retardé par les intempéries, l’armée Tsumahashi n’arrivera jamais à Osaka et apprendra en chemin la mort d’Hideyori.

Saya accepte la défaite est remonte patiemment son clan. Brisée par tous ces morts, Saya garde la tête de son clan en se tenant à l’écart du monde. En 1616 Tokugawa ieyasu meurt à l’age de 73 ans. Son successeur se rappelle alors du clan Tsumahashi et de cette tentative avortée de soutien aux rebelles d’Osaka. Voulant repartir sur des bases saine il envoie un courrier par lequel Saya est informée qu’elle doit mettre un terme à vie. Se rendant sous un cerisier en fleurs elle accepte son destin et se fait seppuku. Ironie du sort, le vieux samouraï qui l’assiste alors est celui-la même qui a assisté sa mère à Yamazaki lors de son propre suicide. Fidèle jusqu’au bout, le vieux samouraï se tuera au côtés de sa maîtresse la minute suivante.

Au XVIII ème siècle, un pèlerinage est encore pratiqué à l’endroit où se trouvait ce cerisier. S’y rendent en silence les personnes se sachant condamnées et qui décident d’accepter leur sort. Elles viennent alors y rendre hommage à dame Tsumahashi Saya en lui demandant de les soutenir dans leurs derniers jours et de les accueillir dans l’au-delà. Selon la traditions shinto en vigueur dans la région, elle ne refuse jamais.